« Le numérique est une ressource épuisée dans 30 ans » | Interview de Frédéric Bordage de Green IT

Frédéric Bordage est un grand spécialiste de la conception écologique de sites web. C’est d’ailleurs lui qui a rédigé « Ecoconception Web, les 115 bonnes pratiques », que nous résumions dans cet article.

Voici un extrait de notre interview, qui entre dans le cadre de notre rédaction sur le livre sur le marketing durable :

MotiWeb : Bonjour Frédéric, qu’est-ce qui vous a poussé à l’écoconception web ?

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Frédéric Bordage : C’est un crash en parapente !

Pour me reconstruire, j’ai dû m’aligner sur mes valeurs fondamentales : la nature, l’écologie, le bien commun, etc.

Deux ans avant, en 2004, j’avais déjà commencé à introduire ces valeurs dans mon quotidien professionnel en lançant Greenit.fr, un blog personnel qui est rapidement devenu un blog communautaire, puis la communauté des acteurs du numérique responsable.

En tant qu’ancien développeur et architecte logiciel, réduire les impacts environnementaux du numérique est apparu comme une évidence. Surtout face à la course en avant que représente la recherche du « toujours plus » : des écrans toujours plus grands, des ordinateurs toujours plus puissants, toujours plus de « G », etc.

MotiWeb : Avec cette course effrénée, à quoi doit-on s’attendre ?

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Frédéric Bordage : L’effondrement. Notre usage inconsidéré du numérique précipite la chute de notre civilisation. La question n’est plus celle de l’effondrement, mais plutôt « à quel point ça sera violent ? ».

Un monde sans numérique, c’est forcément un monde « à la Mad Max ». Car nous sommes totalement dépendants du numérique. Le sevrage risque d’être brutal.

MotiWeb : Pourquoi parlez-vous de sevrage brutal ?

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Frédéric Bordage : Le numérique est une ressource critique, non renouvelable et épuisée dans 30 ans.

Les dernières études montrent qu’au rythme actuel où nous consommons certains minerais, avec les technologies actuelles et au coût actuel, les stocks seront vides dans 3 décennies.

Il reste 4 à 12 ans de stock d’antimoine. Pour le cuivre, l’étain, l’argent et l’or, l’horizon d’épuisement est d’environ 30 ans.

Au rythme actuel, en 2050, nous n’aurons donc plus assez de ressources pour fabriquer un ordinateur.

MotiWeb : En quoi est-ce critique ?

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Frédéric Bordage : Pour une dernière nuit d’ivresse numérique – renouvellement de nos smartphones tous les 2 ans, changement de TV à chaque nouvelle coupe du monde, multiplication des gadgets numériques, etc. – nous sommes en train de “flinguer” la chance d’une transition.

C’est-à-dire la chance de glisser en douceur du monde tout numérique d’aujourd’hui à un monde forcément moins numérique. C’est donc, en premier lieu, la violence du choc qui est critique.

L’autre sujet, c’est que le numérique est un formidable outil pour nous aider à relever les défis du 21ème siècle, notamment pour aider l’humanité à être résiliente face à l’effondrement en cour. Enfin, nous sommes à l’heure du choix des usages : souhaitons-nous utiliser le numérique pour nous soigner (IRM, etc.) ou pour nous divertir. Nous ne pourrons pas faire les deux, pas au rythme actuel.

MotiWeb : Pouvez-vous donner une solution pour freiner cet effondrement ?

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Frédéric Bordage : Cela peut paraître paradoxal, mais nous devrions recourir massivement à la lowtech,  lorsque nous concevons le numérique de demain.

Il y a trois niveaux dans notre domaine. La lowtech pure, la lowtech numérique, et la high-tech numérique.

La lowtech, (ndlr : la basse technologie), c’est par exemple un simple tableau noir et une craie comme dispositif d’affichage. La lowtech numérique, c’est un SMS sur un écran LCD. La high-tech numérique, c’est une TV connectée 4K de 70 pouces.

Il faut clairement redevenir raisonnables et utiliser lowtech, lowtech numérique et high-tech numérique à bon escient.

MotiWeb : Pouvez-vous citer des exemples d’associations de la lowtech à la high-tech ?

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Frédéric Bordage : Premier exemple : on n’a pas forcément besoin d’un smartphone connecté en 4G pour accéder à des prévisions météo. La radio ou un simple SMS, voire un appel vers un numéro de téléphone, font l’affaire.

Deuxième exemple, une intelligence artificielle de Google détecte mieux certains cancers que des oncologues. Mais les chiens du projet KDog de l’Institut Curie font mieux que l’Intelligence Artificielle de Google.

Il ne faut surtout pas opposer l’IA, les oncologues et les chiens. Mais au contraire, utiliser les chiens pour préparer le travail des oncologues et l’IA en renfort, uniquement lorsque c’est nécessaire, des oncologues. L’association de low et high-tech oblige à repenser complètement nos processus.

Nous avons développé la démarche « écoconception facteur 4 » pour nous y aider.

MotiWeb : Pouvez-vous expliquer ce que c’est ?

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Frédéric Bordage : La démarche « écoconception facteur 4 » que j’ai développée dans le cadre de GreenIT.fr consiste justement à associer low et high-tech lorsque l’on écoconçoit un service numérique.

Par exemple, pour confirmer la place d’un passager dans un train la veille du départ, plutôt que d’utiliser une application mobile fonctionnant uniquement en 4G et sur des smartphones récents, nous proposons de le faire par SMS.

En revanche, la réservation (action d’acheter une place dans le train), elle-même écoconçue, peut se faire depuis une application mobile et / ou un site web dont l’empreinte environnementale a été volontairement réduite dès la conception.

Au final, en associant la démarche de sobriété numérique à celle de l’expérience utilisateur, on finit par concevoir des services numériques totalement ou partiellement lowtech qui satisfont tous les utilisateurs, sans créer de fracture numérique.

MotiWeb : Auriez-vous un exemple actuel qui démontre le potentiel de l’écoconception facteur 4 ?

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Frédéric Bordage : Oui. La Deutsche Bahn, qui fait rouler des trains en Allemagne, propose deux sites web qui donnent les horaires des trains.

Le premier, qui date de 1998, pèse moins de 3 Ko. Il est donc rapide comme l’éclair, même en 3G.

Le second site web, moderne, pèse 1 353 fois plus lourd ! Autant dire qu’il vaut mieux avoir un ordinateur dernier cri connecté à une fibre optique pour l’utiliser confortablement.

Morale de l’histoire ? Cela démontre qu’on peut diviser par plus de 1000 le poids d’un site, à informations égales.

Construire un site écoconçu est-il plus cher à produire qu’un site non écoconçu ?

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Frédéric Bordage : Non. Mais c’est une démarche différente qui nécessite une montée en compétence.

On n’écoconçoit pas un site, mais l’acte métier qu’il soutient, c’est-à-dire trouver l’horaire d’un train, prendre un rendez-vous chez le médecin, etc.

La démarche est donc plus longue et coûteuse,  sur les phases de conception,  car on doit bien comprendre et même challenger la demande des clients. Grâce à ce travail, le coût total de possession est plus faible au final, car il ne faut pas oublier que 70 % du coût d’un service numérique est lié à son exploitation et notamment à sa dette technique.

La montée en compétences va coûter un peu au départ, certes, mais c’est un réflexe à prendre. Une fois la connaissance acquise, écoconcevoir un site ne coûte rien de plus en temps et en ressources que concevoir un site de manière non-écoresponsable.

Au contraire, cela coûte même moins sur le moyen et long terme, car on mobilise moins de ressources informatiques. Les sites tournent mieux, plus vite. L’expérience utilisateur s’en trouve améliorée, ce qui est in fine un bon point pour le chiffre d’affaires des entreprises derrière les sites.

Enfin, un service numérique écoconçu est plus appétant pour les entreprises en ce qu’il améliore parallèlement leur image de marque. Et les services publics, quant à eux, évitent de créer des inégalités avec des différentiels ou des fractures numériques sur les territoires.

MotiWeb : L’écoconception web entre-t-elle en résonance ou en contradiction avec les guidelines de Google ?

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Aucune idée. Mais l’écoconception produit des services numériques efficients. Et Google n’aime pas le gras et privilégie les sites efficients.

MotiWeb : Que pensez-vous de la 5G ?

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Frédéric Bordage : La 5G est inutile pour les usages de la vie courante.

Je commence souvent mes conférences en demandant au public le point commun entre un mail et la mission Apollo…

Eh bien, il y a 50 ans, l’ordinateur de bord de la capsule Apollo avait une capacité de stockage de 70 Ko et une mémoire vive de 4 Ko.

70 Ko cela correspond à la taille d’un e-mail aujourd’hui. 4 Ko, c’est 4 millions de fois moins de puissance informatique qu’un ordinateur portable. Et pourtant, on a conquis la Lune !

[…]

NB : La suite de l’interview sera diffusée dans notre ouvrage sur le marketing durable. Nous remercions une nouvelle fois chaleureusement Frédéric Bordage, qui nous ouvre les portes d’un monde numérique décidément plus vert-ueux.

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